Choses vues, sues...et tues

  Enfant, je voulais tout savoir sur ce monde qui m'émerveillait; On m'a dit d'attendre jusqu'à grandir pour voir et comprendre.

  J'ai grandi. Et j'ai vu.

  J'ai vu comment les hôpitaux deviennent le dernier espoir des patients pour guérir. Des malades drapés par le froid qui meurent dans l’indifférence, et d'autres mendient la guérison à la porte des cliniques luxueuses. 

  J'ai vu comment une nation perd sa dignité quand on s'acharne à rabaisser l'enseignant et à rendre stérile l'enseignement. Sans l'esprit critique, on ne transmet qu'une semi-culture à des semi-intellectuels. Et les quelques rares qui "pensent" sont voués dès leur jeune âge au "mal du pays".

  J'ai vu comment les politiques du monde inventent des sédatifs ou extasy (c'est selon) afin de mieux dominer les peuples. Sédatifs tels "démocratie", "égalité"ou "justice", très puissants, capables d'assurer richesse et pouvoir aux haut placés, les intouchables.

  J'ai vu comment mes concitoyens aspirent à l'égalité, exigent la démocratie, réclament leurs droits, mais demeurent incapables de garder propres une plage ou une classe. Ils vocifèrent à tue-tête "liberté" mais ne tolèrent point la différence. Tout le monde démasque, insulte, vitupère. Refaire le monde est le sport national favori. On s'indigne sans faire grand-chose, excepté sur les "stands" bleus ou en tweetant. Entre la parole et le geste, il y a tant de méfiance et de mauvaise foi. 

  Un bonhomme s'insurge, crie -un peu plus fort que les autres- insulte avec ostentation tout le monde et ne veut que libérer sa "nation" et sa "race pure". Applaudi, on le prend pour idole, on le fait héros. N'est point mon héros celui qui adore son colon. N'est point mon idole celui qui traite de pute toute femme qui n'est pas descendante de sa "race pure".  De nos jours, on est des Ché Guevara virtuels et des épicuriens dans le réel, mais difficilement patriotes. Car le patriotisme rime mal avec l'individualisme cupide.

  Et j'ai vu un artiste. Avec sa palette, il tente de vaincre son mal du pays par ses couleurs et son amour de la terre. On lui dit que son pinceau est profane et son art un blasphème. Il voulait forger un mythe d'amour en toiles mais sa terre a beau raconter des légendes, elle ne les abrite pas. Exaspéré, il jette sa palette et s'enfonce dans la nuit sombre et froide. Dix fois torturé par son mal du pays qui l'étrangle, il espère ainsi la bénédiction de sa terre. 

    Vu le monde

    Perdue la foi

    Tues les plus belles choses.

  Puis un jour, j'entendis les pas des guerriers solitaires qui mènent leurs combats malgré le vacarme jovial. J'entendis les rires des enfants défiant le désastre et les guerres. Je me rendis compte que le soleil luit toujours, apportant chaleur et espoir. J'ai vu les arbres et les fleurs qui résistent au vent, et l'oasis qui apaise au cœur du désert. J'ai vu comment chacun s'accroche à la vie, même les plus démunis, même ceux qui n'espèrent que survivre. 

  J'ai compris alors qu'il existe au fond de nous-mêmes une force qui nous tient debout et nous réchauffe, que la vie a son propre parfum: Espoir. Qu'à force de souffrir, on apprend à apprécier ce don de vie.  On résiste à nos maux par cet élan dit "Amour de la Vie"; Autrement, on n'est qu'une ombre qui traîne. J'ai repris palette et foi: chacun cultive son jardin ou le déterre. 

    Frôlé le mystère

    Tues les douleurs

    Chantées les plus belles choses.